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mardi 24 octobre 2017

Paris : Don Carlos à l'Opéra Bastille



Ce matin, je vais faire un tour au marché ; l'après-midi se passera à l'Opéra Bastille avec le très attendu Don Carlos.


Je poursuis donc mes recherches de feuilles de giroflier pour mon père. Je pense en trouver au marché d'Aligre, entre la Graineterie sur la place et la boutique de produits malgaches à l'intérieur. C'est parti !

Au marché d'Aligre


Comme je l'écris souvent, j'adore les marchés, et plus particulièrement les marchés couverts. Celui d'Aligre est très populaire et très fréquenté le dimanche matin. 

La balade est agréable, j'ai même le temps de flâner dans les stands de brocante. 
Hélas, encore raté pour les feuilles.



C'est l'époque des giroles !


Les trompettes des morts ne sont pas mal non plus.


Tomates multicolores, un joyeux pêle-mêle.




Direction donc la place de la Bastille où j'ai rendez-vous avec mon amie Françoise à 11.30.

Déjeuner rue de Lappe


Françoise me signale un restaurant asiatique où elle a mangé récemment. Chic, un bon vietnamien ! Elle et moi avons gardé des souvenirs gastronomiques très vifs de nos voyages dans cet attachant pays.
Le restaurant est quasiment vide à notre arrivée.


Je choisis sans surprise les nems, souvent un bon moyen de tester la qualité de la cuisine. Ils s'avèrent effectivement délicieux, croustillants à souhait. La brochette de bœuf à la citronnelle n'égale pas celle dont je m'étais régalé à Hanoi, mais elle est bien goûteuse, et les oignons croustillent eux aussi. Les desserts sont d'une qualité moindre, mais les perles de coco restent correctes. 20 € avec une bière Saigon et un café.




Ce n'est pas tout ça, il me faut me presser : ma représentation à l'Opéra débute à 14:00.

Don Carlos à l'Opéra Bastille



J'aime infiniment Don Carlos, un des premiers opéras de Verdi que j'ai vus. J'ai assisté à une grande quantité de spectacles, souvent excellents, mais bien plus souvent dans la version italienne que dans l'original français. Si mes comptes sont exacts, ce n'est que ma troisième représentation en français de cette œuvre.

C'est un peu comme Les Contes d'Hoffmann, où chaque spectacle ou presque est l'occasion de découvrir de la musique.
Je crois bien connaître cet opéra, y compris les différentes alternatives, mais cet après-midi, je vais entendre des passages pour la première fois.

C'est évident que la version italienne est plus familière. Dès qu'on revient à une musique commune, les paroles italiennes surgissent immédiatement dans la mémoire (même phénomène avec La Favorite, vue cette semaine à Marseille).

Mais, en dépit de cette proximité avec la version italienne, force est de constater la supériorité de la version originale. Rôles plus complets ici (Don Carlos en est largement étoffé, Eboli y obtient un air supplémentaire, le Comte de Lerme devient un vrai rôle) mais surtout la trame dramatique y gagne en lisibilité. Comment a-t-on pu supprimer dans la version italienne le duo Élisabeth-Eboli dans le bureau de Philippe, indispensable au déroulement de l'action ? Musicalement, cette version est remplie de beautés, ce qu'on découvre dès le début avec le magnifique chœur "L'hiver est long".


Quelques réflexions sur la mise en scène 


La mise en scène de Warlikowski semble avoir fait l'unanimité contre elle. C'est vrai que tout n'est pas parfait : l'acte du jardin manque scéniquement de force, au regard des mots prononcés, et on retrouve un lavabo dès le début,  accessoire iconique du metteur en scène polonais. Je me suis lassé de l'effet "pellicule de film ancienne". Mais le travail d'acteur est extrêmement approfondi et réfléchi ; l'acte du bureau, en jouant sur les positions, sur les attitudes, sur l'emploi des fauteuils, révèle tous les enjeux de cette scène capitale. Don Carlos dans  sa cage est un vrai prisonnier et non un Silvio Pellico d'opérette.

Il nous montre avant tout des humains brisés, soit parce qu'ils ne peuvent s'aimer, soit parce qu'ils ne sont pas aimés. Philippe est également un être torturé, affaibli par le drame de sa vie. Par ailleurs le conflit entre sphère privée et sphère publique, point central de l'opéra, est particulièrement exposé. Et quelle brillante idée, à la réflexion, de montrer Eboli, cette combattante machiavélique, dans un gymnase avec un entraînement d'escrime ! Sur le moment, je trouvais que ça s'accordait bien peu à la féminité de l'air du voile, mais en fait cette romance est bien destinée à ses compagnes  (et peut-être à séduire le page) . Ce n'est pas elle qui "dévoile" le vrai personnage. C'est dans la fougue du Don fatal, puissant cri,  qu'elle va vraiment s'exprimer. Eboli est éclairée d'un jour nouveau ici.

Et je sais particulièrement gré à Warlikowski de nous avoir épargné le fastidieux défilé de l'autodafé, un des trois pour moi redoutables à l'Opéra (avec ceux d'Aida et de Carmen) , qui ne sont souvent que décoratifs, façon défilé du 14 juillet. Son idée de placer un rideau entre public de l'autodafé et antichambre particulièrement pertinente en ce sens.

J'ai discuté, assez vivement, avec mon voisin qui trouvait le décor "moche". Cela me paraît totalement subjectif, et je reste convaincu que le seul jugement esthétique ne suffit pas en matière artistique. Mon voisin était opposé aux transpositions. Je pense au contraire que la version en costumes d'époque (parfois très approximative, mais beaucoup sont satisfaits dès que ça fait ancien) transforme l'œuvre en page d'histoire, éloignant immédiatement les personnages de nous. Les enjeux et les affects au théâtre, bénéficient (presque) toujours d'une plus grande proximité.

"Oui, mais ce n'est pas ce qu'aurait voulu Verdi".
Que penser des artistes qui renient certaines de leurs œuvres ? A quel moment faudrait-il prendre en compte leur volonté ? Quand ils créent ou quand ils bafouent ? On pourrait aussi objecter que l'auteur, le compositeur, ne savait rien, ne pouvait rien imaginer de notre époque. La volonté de l'auteur reste bien de toucher son public, non ? Verdi pestant contre sa Traviata donnée à l'époque Louis XIV voulait une "femme de notre temps", si je me rappelle bien. Problème : le temps du compositeur ? celui du spectateur ?
Sans compter qu'il est parfois bien difficile de savoir ce que l'auteur voulait. On se base souvent sur les écrits, les lettres mais reflètent-elles toujours bien le fond de la pensée?

Tout cela tourne toujours autour d'une même idée, la mise en scène nouvelle trahirait l'œuvre. Je pense au contraire que le vrai travail du metteur en scène, c'est révéler le tréfonds, ouvrir des portes, proposer une lecture de l'œuvre, de manière à ce que le spectateur puisse, en retour, réfléchir et en approfondir la vision. Et rien n'est pire que la mise en scène "belle" où on se contente d'avoir réglé entrées et sorties.

Je ne défendrai pas que ce soit la plus parfaite production de Warlikowski, mais elle me semble bien plus intéressante et fouillée que beaucoup. Et surtout, elle fonctionne du début à la fin. Elle pousse à réfléchir, à reconsidérer ce qu'on croit acquis, et ça me semble le rôle principal d'une mise en scène. Je pense que c'est une des trois plus passionnantes que j'aie vues.

La direction de Philippe Jordan ne semble pas avoir fait l'unanimité. Certains lui ont reproché un manque d'ampleur. Je lui ai trouvé, au contraire, un phrasé élégant, sensuel parfois, et ai apprécié sa capacité à extraire de la partition des joyaux  inconnus pour les présenter devant nos oreilles.

Le public paraît avoir plus unanimement goûté la performance des chœurs et de l'orchestre, remarquables sans aucun doute.

Plateau de stars

Et de même pour le plateau, un concentré de méga-stars qui ne déçoit pas. Les députés flamands (Tiago Matos, Michal Partyka, Mikhail Timoshenko, Daniele Giulianini, Tomasz Kumiega et Andrei Filonczyk) ont impeccables, homogènes et unis dans un même legato. 
Les seconds rôles sont de grand luxe : Julien Dran offre au Comte de Lerme diction claire, timbre velouté et vraie  présence, tandis qu'Eve-Maud Hubeaux met toutes ses couleurs au service d'un Thibaut exemplaire. Je me languis d'entendre son Eboli. Diction moins remarquable, mais belle basse de Krzystof Baczyk, un des meilleurs Frères jamais applaudis.
Imposant Inquisiteur de Dmitry Belosselskyi, réellement inquiétant par sa mémorable composition et sa voix cuivrée. Il chante aussi le Roi sur d'autres scènes et s'y montre sans doute impressionnant.

Ici, c'est Ildar Abdrazakov qui se révèle tout aussi excellent acteur avec un Philippe faible, au phrasé somptueux. Ce rôle le met parfois en difficulté dans les graves, mais je pense que la version française ne l'aide guère. Son Filippo II ne rencontrera vraisemblablement pas les mêmes soucis.

Ludovic Tézier mérite amplement le triomphe reçu : intelligence du rôle, legato divin, chatoyance des couleurs. Grande classe.

Elina Garanca est une des rares Eboli que j'aie jamais entendues à exceller autant dans un air du voile belcantiste, varié comme il se doit, que dans un Don fatal intense et puissant ou un acte du jardin (où elle gagne un air supplémentaire) étonnant de violence, malgré une mise en scène décevante sur cette scène.

Sonya Yoncheva est étonnante. La vitesse avec laquelle cette très jeune femme a conquis la scène lyrique stupéfie autant que sa capacité à changer de répertoire. Saperlipopette, elle campait Juliette ou Lucia il n'y  a pas si longtemps, et la voilà déjà en Norma ou Élisabeth. Sa projection, la variété des couleurs sont pourtant aussi admirables que sa composition de femme blessée de bout en bout, réfugiée derrière ses lunettes noires (excellente idée de théâtre).

Voir Jonas Kaufmann est toujours un évènement exceptionnel. D'abord, on est tellement heureux qu'il n'ait pas annulé (ce qui m'est arrivé à trois reprises par le passé). On est toujours assuré d'une mémorable performance de chanteur-acteur.

A nouveau, le cher Jonas se montre à la hauteur des attentes. Ses miraculeux piani, donnés d'une voix complètement couverte, font merveille. On pourra pinailler sur des aigus qui ne viennent pas seuls, mais la beauté du style et la qualité de la technique ne peuvent laisser  personne indifférent. Sa composition torturée m'a rappelé son Lohengrin sur cette même scène, fragile personnage aux pieds nus. C'est un don réel de cet homme de pouvoir ainsi révéler les fêlures des personnages qu'il incarne. Ce n'est pas l'Infant qui est en prison, c'est un homme ordinaire qui ne peut mener la vie dont il rêve, et qui relève d'une tentative de suicide dès le lever de rideau. Spectaculaire incarnation, bouleversante une fois encore.

Un spectacle qui remue comme le fait rarement Don Carlos.

Elīna Garanča, attendue deux heures sans succès.

Tomasz Kumiega

 Krzysztof Baczyk

Julien Dran, l'homme à la moto.

Philippe Jordan

Ildar Abdrazakov

Avec Ludovic Tézier, que je connais depuis ses débuts sur scène !

Jonas Kaufmann

Avec Sonya Yoncheva.

6 commentaires:

  1. Tu soulèves là des problèmes très intéressants. Des questions de fond, et ton argumentation est assez convaincante. J'aime bien ce genre d'articles dans ton blog !
    Bruno

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    Réponses
    1. Merci Bruno ! Je m'attendais à ce que cet article fasse davantage polémique. Je trouve rarement des gens de l'avis que je développe ici !
      Bien à toi.

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  2. Un bon souvenir !
    Bises
    Françoise

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  3. I disagree with you. I prefer classic productions. But it is still great to read your blog.
    J.R.

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  4. Thanks J.R.
    I can imagine different ideas than mine, of course !

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